Appel à contribution : Révolutions arabes : un événement pour les sciences sociales ?

Appel à contribution : Révolutions arabes : un événement pour les sciences sociales ?

Appel à contribution : Révolutions arabes : un événement pour les sciences sociales ?

By : Jadaliyya Reports

Enregistrant les « révolutions » que connaissent les sociétés arabes et musulmanes depuis 2011, ce dossier propose une discussion réflexive sur les articulations entre l’événement et nos pratiques de sciences sociales.

Les bouleversements qui se sont produits à partir de la fin de l’année 2010 au Sud et à l’Est de la Méditerranée ont en effet été marqués par plusieurs caractéristiques : la force de l’événement et sa construction médiatique, son caractère inattendu, la rapidité des premières évolutions, mais aussi la résilience de certains processus. Il en a résulté une demande sociale de compréhension (ou en tout cas d’explication) qui a rapidement mis à contribution les sciences sociales et humaines. Malgré la défiance que celles-ci entretiennent généralement pour les « constructions médiatiques » de l’événement faites dans l’instant, il leur était manifestement difficile de ne pas fournir d’interprétations, aussi provisoires soient-elles. Dans un premier temps, ce sont surtout les politologues, et de façon générale les spécialistes de l’époque contemporaine qui ont été sollicités pour lire, presque en temps réel, les ruptures et continuités perceptibles dans cette histoire en train de se faire. Mais ils n’ont pas été les seuls. Nous nous proposons d’examiner à partir d’expériences concrètes et comparées comment l’ensemble des sciences humaines et sociales (histoire, linguistique, démographie, islamologie, économie, sociologie, anthropologie, géographie…) ont pu répondre à l’épreuve de cette interpellation.

Les réflexions que nous voudrions susciter ici de la part des chercheurs de différentes disciplines concernent tout autant l’activation de nouveaux débats à l’intérieur des disciplines ou entre elles, que l’émergence de nouveaux objets, l’évolution des grilles de lecture, l’accès à de nouveaux terrains d’enquête ou au contraire leur fermeture, le renouvellement de questionnements par la constitution de nouvelles sources, données ou types d’archives…

À bouleversement global…

En effet, les sociétés arabes et musulmanes offrent aujourd’hui un point d’analyse remarquable de la problématique de l’inscription des sciences humaines et sociales dans des sociétés en mutation. Les pouvoirs herméneutiques de l’événement ne se cantonnent pas au champ politique mais affectent les sociétés dans leur ensemble et interpellent les sciences sociales sur leurs propres pratiques. En l’occurrence, des chantiers de recherches s’ouvrent ou se redéfinissent dans des contextes où ils avaient jusque alors en grande partie été ignorés, prohibés, ou rendus difficilement accessibles à l’enquête. On peut légitimement s’interroger sur le fait que les phénomènes qu’ils découvrent aient été proprement engendrés par la dynamique de crise ou bien soient simplement la révélation de processus sous-jacents mis à jour par l’effondrement de l’ordre ancien. L’important ici est la façon dont ils sont pris en compte et « découverts » dans le contexte post-révolutionnaire.

Dans certains cas, ces chantiers peuvent donner un sens nouveau à des phénomènes déjà anciens. Pour ne prendre qu’un seul exemple, cet effet de contexte joue évidemment fortement concernant les réflexions menées de longue date sur les fondements religieux des sociétés, avec l’arrivée au pouvoir de mouvements islamistes et leur volonté de réintroduire du « musulman » en politique.

Dans d’autres cas, la manifestation évidente de pratiques nouvelles pourrait faire entrer dans le champ de la recherche des objets qui peinaient jusque là à y trouver une place : ainsi par exemple de l’explosion de pratiques linguistiques, en premier lieu celles des langues et des slogans par lesquels la contestation s’est manifestée et a circulé. Plus largement, ce sont les productions culturelles dans leur ensemble (cinéma, littérature, internet…) qui sont partie prenante de dynamiques sociales dans les révolutions.

Aux phénomènes évoqués ci-dessus, il faut encore ajouter la force avérée du lien à des espaces aux géographies multiples par les réseaux et l’internet qui replacent ces bouleversements dans le contexte global des contestations sociopolitiques contemporaines.

L’ampleur de ces transformations et l’usage du terme de révolution ont pu affaiblir un temps dans le débat public l’idée d’une « spécificité arabe », avant qu’elle ne soit remobilisée avec force. Ceci ouvre-t-il les possibilités de nouveaux comparatismes, à plus grande échelle, ailleurs, et entre différentes époques ?

…pluridisciplinarité obligée ?

C’est sans doute le caractère multidimensionnel de ces évolutions qui explique qu’un large éventail de disciplines se soit vues interpellées et sollicitées par les événements dans les pratiques singulières de leurs chercheurs, dans l’organisation de leurs conduites d’enquête, d’interprétation et de compréhension. Ceci se vérifie également dans l’enseignement de ces disciplines. Mais les frontières même du partage disciplinaire tendent également à se brouiller dans les temps chauds de l’événement, et l’on a vu être mise à l’épreuve une pluridisciplinarité que peu de programmes de recherche pourraient espérer mobiliser en temps de « science normale ».

C’est ainsi que des islamologues spécialistes du droit musulman médiéval, peu habitués à l’exposition médiatique, peuvent être questionnés sur la question de l’application (ou de la non application) de la shari‘a. Des spécialistes de littérature arabe contemporaine rappellent l’importance de la dimension sociale des productions culturelles, au delà des analyses strictement textuelles des œuvres qu’ils étudient. Certains linguistes signalent la circulation transfrontalière des slogans, les combinaisons inattendues des registres et des langues (arabe, dialectal, berbère, français, anglais) et observent la pluralité linguistique de la contestation politique.

Anthropologues et géographes font des hypothèses pas toujours convergentes sur les éventuelles implications territoriales des mises en tension des appartenances tribales ou confessionnelles, en Libye et surtout en Syrie.

Les historiens – dont on a assez souvent dit qu’ils écrivent inévitablement depuis leur présent – ne manquent pas de s’interroger devant ce qui ressemble pour certains à une histoire en train de se remettre en marche : comment réintroduire le temps long alors que se manifeste une telle fascination pour l’instant ? Comment traiter de nouvelles sources rendues accessibles mais aussi des archives numériques en train de se fabriquer ? Comment apprécier la (ré)écriture des histoires nationales, etc. ?

On peut ajouter à ce constat qu’un tel foisonnement est évidemment amplifié et rendu davantage visible par de nouveaux supports numériques – médiatiques mais aussi scientifiques – comme les carnets ou blogs de recherche, personnels ou collectifs. De nouvelles façons d’écrire, plus immédiates et personnelles, mais dont la maturation peut tout aussi bien déboucher sur des produits d’édition plus classiques.

Révolutions arabes : les sciences sociales saisies par l’événement

Dans le cadre d’une revue pluridisciplinaire comme la REMMM, soucieuse de contribuer à une démarche réflexive sur le champ qu’elle couvre, nous souhaitons donc saisir l’occasion pour réfléchir à ce que les révolutions arabes font aux sciences sociales. Face à une série de faits qui provoquent une rupture momentanée d’intelligibilité, sous quelles formes se manifestent les demandes sociales d’explication ? Comment les sciences sociales, avec leurs ressources propres, travaillent-elles à reconstruire du sens ? En quels termes se (re)pose la question d’une pluridisciplinarité qui, plutôt qu’une mobilisation en ordre dispersé et parfois concurrent, puisse poser les bases pratiques d’une intercompréhension entre des approches et des savoirs spécifiques ?

Plusieurs axes de réflexion peuvent être envisagés :

  • le chercheur et la demande sociale : contrairement aux attentats du 11 septembre 2001 qui avaient pu donner lieu à un procès de la recherche sur les sociétés du Moyen Orient, les printemps arabes ont entrainé un recours massif à l’expertise académique. La suspension soudaine des grilles de lectures habituelles entraîne soif de compréhension tous azimuts. On peut dès lors s’interroger sur les différents canaux par lesquels se manifeste cette demande sociale et sur les acteurs qui la portent. Quelle est la latitude des chercheurs pour répondre ou non à cette demande, quelle est leur marge de manœuvre, leur degré d’autonomie et leur apport spécifique pour recréer de l’intelligibilité ?
  • les lignes mouvantes des sciences sociales : dans le champ même de la recherche, il s’agit de repérer, à partir des évolutions en cours, de nouvelles pistes de recherche émergentes, d’éventuels déplacements des lignes disciplinaires, des interactions et porosités nouvelles entre des champs de recherche qui tentent de saisir des réalités en pleine mutation. Pour ne prendre qu’un seul exemple, les élections tunisiennes et égyptiennes de 2011, quel qu’ait pu être leur postérité, ont eu pour effet immédiat une importance soudainement accordée aux comportements et aux choix des électeurs, ouvrant par là un champ majeur de recherche, celui de la sociologie électorale, jusque là considérée comme d’une faible valeur heuristique pour le monde arabe. En sens inverse, il est aussi possible de réfléchir aux types de questionnements qui pourraient se trouver momentanément masqués par une focalisation excessive sur l’instant ou évacués par un agenda en partie imposé par la demande sociale. L’objectif est ici d’élargir ce type de réflexion à l’ensemble des disciplines pour essayer de saisir comment celles-ci pourraient être transformées, tant d’un point de vue théorique (nouveaux objets, nouvelles grilles de lectures et interprétations…) que méthodologique (accès aux terrains et aux sources, ou à l’inverse, fermeture) en observant, analysant et commentant les bouleversements intervenus depuis fin 2010 ?

Cet appel est également ouvert à des chercheurs travaillant sur d’autres espaces mais auxquels les révolutions arabes viennent apporter, d’une façon ou d’une autre, matière à réflexion sur leurs propres terrains. De telles contributions pourraient en effet aider à penser les révolutions arabes comme l’une des manifestations « locales » d’un processus de perturbations du « régime disciplinaire du savoir ».

Les propositions (4 000 signes maximum) seront envoyées par courriel à mcatusse@hotmail.com et siino@mmsh.univ-aix.fr avant le 28 février 2014.

Envoi des articles sélectionnés (40 000 signes) avant le 1 septembre 2014.

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Past is Present: Settler Colonialism Matters!

On 5-6 March 2011, the Palestine Society at the School of Oriental and African Studies (SOAS) in London will hold its seventh annual conference, "Past is Present: Settler Colonialism in Palestine." This year`s conference aims to understand Zionism as a settler colonial project which has, for more than a century, subjected Palestine and Palestinians to a structural and violent form of destruction, dispossession, land appropriation and erasure in the pursuit of a new Jewish Israeli society. By organizing this conference, we hope to reclaim and revive the settler colonial paradigm and to outline its potential to inform and guide political strategy and mobilization.

The Israeli-Palestinian conflict is often described as unique and exceptional with little resemblance to other historical or ongoing colonial conflicts. Yet, for Zionism, like other settler colonial projects such as the British colonization of Ireland or European settlement of North America, South Africa or Australia, the imperative is to control the land and its resources -- and to displace the original inhabitants. Indeed, as conference keynote speaker Patrick Wolfe, one of the foremost scholars on settler colonialism and professor at La Trobe University in Victoria, Australia, argues, "the logic of this project, a sustained institutional tendency to eliminate the Indigenous population, informs a range of historical practices that might otherwise appear distinct--invasion is a structure not an event."[i]

Therefore, the classification of the Zionist movement as a settler colonial project, and the Israeli state as its manifestation, is not merely intended as a statement on the historical origins of Israel, nor as a rhetorical or polemical device. Rather, the aim is to highlight Zionism`s structural continuities and the ideology which informs Israeli policies and practices in Palestine and toward Palestinians everywhere. Thus, the Nakba -- whether viewed as a spontaneous, violent episode in war, or the implementation of a preconceived master plan -- should be understood as both the precondition for the creation of Israel and the logical outcome of Zionist settlement in Palestine.

Moreover, it is this same logic that sustains the continuation of the Nakba today. As remarked by Benny Morris, “had he [David Ben Gurion] carried out full expulsion--rather than partial--he would have stabilised the State of Israel for generations.”[ii] Yet, plagued by an “instability”--defined by the very existence of the Palestinian nation--Israel continues its daily state practices in its quest to fulfill Zionism’s logic to maximize the amount of land under its control with the minimum number of Palestinians on it. These practices take a painful array of manifestations: aerial and maritime bombardment, massacre and invasion, house demolitions, land theft, identity card confiscation, racist laws and loyalty tests, the wall, the siege on Gaza, cultural appropriation, and the dependence on willing (or unwilling) native collaboration and security arrangements, all with the continued support and backing of imperial power. 

Despite these enduring practices however, the settler colonial paradigm has largely fallen into disuse. As a paradigm, it once served as a primary ideological and political framework for all Palestinian political factions and trends, and informed the intellectual work of committed academics and revolutionary scholars, both Palestinians and Jews.

The conference thus asks where and why the settler colonial paradigm was lost, both in scholarship on Palestine and in politics; how do current analyses and theoretical trends that have arisen in its place address present and historical realities? While acknowledging the creativity of these new interpretations, we must nonetheless ask: when exactly did Palestinian natives find themselves in a "post-colonial" condition? When did the ongoing struggle over land become a "post-conflict" situation? When did Israel become a "post-Zionist" society? And when did the fortification of Palestinian ghettos and reservations become "state-building"?

In outlining settler colonialism as a central paradigm from which to understand Palestine, this conference re-invigorates it as a tool by which to analyze the present situation. In doing so, it contests solutions which accommodate Zionism, and more significantly, builds settler colonialism as a political analysis that can embolden and inform a strategy of active, mutual, and principled Palestinian alignment with the Arab struggle for self-determination, and indigenous struggles in the US, Latin America, Oceania, and elsewhere.

Such an alignment would expand the tools available to Palestinians and their solidarity movement, and reconnect the struggle to its own history of anti-colonial internationalism. At its core, this internationalism asserts that the Palestinian struggle against Zionist settler colonialism can only be won when it is embedded within, and empowered by, the broader Arab movement for emancipation and the indigenous, anti-racist and anti-colonial movement--from Arizona to Auckland.

SOAS Palestine Society invites everyone to join us at what promises to be a significant intervention in Palestine activism and scholarship.

For over 30 years, SOAS Palestine Society has heightened awareness and understanding of the Palestinian people, their rights, culture, and struggle for self-determination, amongst students, faculty, staff, and the broader public. SOAS Palestine society aims to continuously push the frontiers of discourse in an effort to make provocative arguments and to stimulate debate and organizing for justice in Palestine through relevant conferences, and events ranging from the intellectual and political impact of Edward Said`s life and work (2004), international law and the Palestine question (2005), the economy of Palestine and its occupation (2006), the one state (2007), 60 Years of Nakba, 60 Years of Resistance (2009), and most recently, the Left in Palestine (2010).

For more information on the SOAS Palestine Society 7th annual conference, Past is Present: Settler Colonialism in Palestine: www.soaspalsoc.org

SOAS Palestine Society Organizing Collective is a group of committed students that has undertaken to organize annual academic conferences on Palestine since 2003.

 


[i] Patrick Wolfe, Settler Colonialism and the Transformation of Anthropology: The Politics and Poetics of an Ethnographic Event, Cassell, London, p. 163

[ii] Interview with Benny Morris, Survival of the Fittest, Haaretz, 9. January 2004, http://cosmos.ucc.ie/cs1064/jabowen/IPSC/php/art.php?aid=5412